LE FIL A PLOMB

20 Juillet 2019 , Rédigé par Philippe A. Publié dans #Planches pour padawans

Pour une raison qui m’échappe encore,  j’avais retardé ce travail. Je l’ai remis plusieurs fois sous la pile des autres symboles sur lesquels je voulais me concentrer. Mes recherches bibliographiques, mes échanges avec  mon second surveillant, avec des frères, en préparation de cette planche, m’ont démontré qu’il s’agissait d’une grosse erreur « stratégique » dans mon apprentissage. Oh, sans doute rien de mortel, mais une erreur qui a sans doute gêné, occulté, ou au moins ralenti ma réflexion  sur les autres outils de l’apprenti. Je crois que j’ai réalisé que sans ce fil à plomb, il est plus compliqué de découvrir le reste de notre arsenal symbolique. J’étais parti sans boussole, je commence à entrapercevoir les côtes… mais j’ai sans doute perdu du temps, ou pas… c’est selon. En tout cas, avec le droit au silence, c’est sans doute le meilleur ami de l’apprenti, son repère et sa ligne de conduite. C’est aussi le début de la mise en pratique de la formule VITRIOL du cabinet de réflexion.

 

Usage, historique et anatomie du fil à plomb

Un mot sur l’objet. En maçonnerie opérative, le respect rigoureux de la verticalité des surfaces en élévation est un facteur essentiel de durabilité et d’équilibre des édifices. Les bâtisseurs, depuis des temps immémoriaux, avaient identifié cette qualité et avaient inventé des outils pour vérifier la parfaite perpendicularité par rapport au sol des surfaces verticales. Outils dits « perpendiculaire » (ou perpendicule) lorsqu’il s’agissait de vérifier à petite échelle l’assujettissement précis de pierres à assembler, ou fil à plomb, lorsqu’il s’agissait de tracer, a priori, et à plus grand échelle, la verticale d’une paroi à construire. D’autant plus important que le moteur n’était pas qu’architectural mais aussi gnostique car nombre de constructions humaines, dans des théogonies diverses,  se sont dressées vers les cieux dans une volonté de s’approcher du divin mais également dans les profondeurs de la terre pour sacraliser des sépultures.

D’un point de vue géométrique, les deux outils mesurent le même paramètre. Pour autant, le fil à plomb, nous offre, de par l’absence de limite théorique à la longueur du fil, un support symbolique des plus puissants.

Avant de détailler cette puissance symbolique, nous notons que l’outil est constitué d’un fil auquel est assujetti un poids qui en assure la tension vers le bas dans le sens de la gravité terrestre. Le fait que ce poids puisse être en plomb, le mercure des philosophes, ouvre immédiatement un clapet hermétiste dans notre réflexion… nous pourrions y revenir. Je ne le ferai pas ici. L’objet est donc « bipolaire ». Caractéristique assez rare dans notre symbolique qui se régale volontiers de ternaires. Il est également double au sens newtonien (3ème loi) en raison des forces opposées qui s’exercent dans cet assemblage. C’est d’ailleurs l’une de ces forces, la gravité, qui permet de tracer une perpendiculaire particulière, celle par rapport à la surface terrestre. En effet, car on peut être perpendiculaire de n’importe quoi, ce qui ne nous permettrait pas d’avancer dans l’analyse symbolique. L’opposition du fil et du plomb évoque aussi une dualité mâle-femelle, yin et yang et c’est là que la richesse du symbole prend sa source, dans ce contraste harmonisé.

Avant d’aller plus loin, je conviens avec moi-même que fil à plomb et perpendiculaire recouvrent le même symbole. L’étymologie de  perpendiculaire  vient de « perpendere » qui signifie peser attentivement, apprécier avec exactitude, ou encore évaluer avec précision, ce qui permet de mieux décoder le symbole que d’en rester à l’appellation fil à plomb…. Que je continuerai toutefois à utiliser…

Verticalité primaire et secondaire

Le fil à plomb-symbole nous offre, au premier abord, une ligne verticale qui s’étend du zénith an nadir. Je dis fil à plomb au singulier, mais ceci est déjà réducteur. En effet, il est sur notre tableau de loge, à la verticale du pavé mosaïque, c’est aussi le symbole de la fonction du second surveillant, on verra pourquoi, mais surtout, chaque frère possède le sien, qui, dans sa perpendicularité propre, traverse son plexus solaire. Le symbolisme de la verticale est donc bien  partagé par tous. Le fil à plomb, de fait, participe à la construction du temple maçonnique en ce sens qu’il en est l’un des axes verticaux avec les colonnes. A y penser, l’axe vrai du temple serait plutôt la résultante de l’axe de chaque maçon qui le composent, une forme de manifestation de l’égrégore peut-être…

Cette verticalité qui relie le cosmos, notre voute étoilée, et le plus sombre de notre terre, évoque immédiatement la rigueur, la rectitude du jugement et la droiture (sous toutes ses formes : solidarité etc.…) auxquelles le franc-maçon s’engage par l’initiation. C’est aussi l’aplomb, l’accord avec soi-même, l’équilibre, l’assurance sans orgueil du maçon debout.

C’est un outil des plus utiles dans ma vie profane : il m’exhorte à m’élever tout  en vivant avec l’autre. Il m’invite à l’écoute, à la tolérance, à la compassion. Cette élévation sans supériorité, fait aussi que mon jugement est sans doute meilleur et ma compréhension plus aboutie

 

Cette verticalité primaire en cache une autre. Cette ligne, n’est pas une droite symbolique, mais un vecteur symbolique. En mathématique, on pourrait imaginer une dérivée seconde de cette droite. Le distinguo vient de la notion de direction, qui est double. Le fil peut se parcourir de haut en bas et de bas en haut. Il symbolise l’intégralité de notre conscience. Chacun des points qui le composent est un degré de conscience. En ce sens, il est la boussole qui me manquait au début de mon discours : c’est lui qui m’a guidé, d’abord vers le bas, au plus profond de moi-même, afin que j’y discerne ma pierre brute et que je découvre mes premiers outils. C’est le gnomon qui m’a permis de trouver cette première orientation correcte.

Je vais alors devoir, pouvoir aussi – avec de nombreux efforts – circuler sur la voie ascendante du fil à plomb, c'est-à-dire depuis  la connaissance terrestre, visible, rationnelle mais alourdie d’inutiles métaux, jusqu’aux  sphères supérieures ou à la voie céleste qu’il laisse entrevoir, le sacré, l’immatériel. Je continuerai toutefois les plongées au cœur de la terre, pour parfaire ma pierre (VITRIOL). Je pense osciller longtemps dans cette recherche de la vérité, de la connaissance de moi et des autres dont le fil est le parfait symbole. Tellement essentiel, qu’il est le symbole et bijou mobile de notre second surveillant qui nous accompagne dans notre auto-apprentissage, dans ces oscillations entre l’introspection et la spiritualité. Cette oscillation, ce mouvement de recherche, trouve une rassurante motivation dans la table d’émeraude, puisque « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ».

 

Le fil à plomb est donc bien l’axe primordial nécessaire à la construction de notre édifice personnel et de son équilibre, il est la clé qui montre les deux directions à suivre, celle tournée vers soi et celle qui nous permet de nous élever. Ce voyage en nous donne un rôle actif à la perpendiculaire et nous amènera au niveau qui nous permettra de déduire un axe horizontal et de progresser encore un peu plus, la combinaison de la verticale et de l’horizontale nous amenant à l’équerre. Mais ceci est un autre chapitre.

 

J’ai dit

 

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